Depuis trois semaines, le Maghreb est en révolution.
Pourtant, les principaux journaux officiels et les télévisions d’Europe ne parlent que fort peu de ce qui est
en train de se passer en Tunisie, mais aussi, à sa suite, en Algérie et au Maroc.
Alors que ces peuples, nos anciennes colonies, proches de l'Europe, qui furent parties de l'Empire romain (excusez l'humaniste de formation qui s'exprime) et devraient être
parties de l'Union européenne depuis longtemps déjà, sont en train de s'affirmer, ne les saluerons-nous pas? Ne les appuierons-nous pas? 1792 est-il donc si loin?
Tout est parti de Tunisie, une dictature soutenue par l’Europe, une dictature où syndicalistes et journalistes
sont emprisonnés et éliminés physiquement, sans que nos gouvernements n’y trouvent à redire : un jeune homme, Mohammed Bouaziz, à vingt-six ans, s’est suicidé par le feu en
pleine rue, le 18 décembre dernier, épuisé par la misère et la tyrannie du président Ben Ali, le grand ami de l’Occident.
Sans tarder, une manifestation sans précédent a envahi les rues de la petite ville de Sidi Bousid. Et la colère
s’est répandue ; la révolte a fait tache d’huile et s’est métamorphosée en révolution. Travailleurs pauvres, ouvriers, puis ingénieurs, médecins, avocats, fonctionnaires et
étudiants, tout un peuple lassé de la dictature et de la misère a emboîté le pas à cette révolte qui s’est muée en révolution.
La Tunisie, cette dictature à deux heures de vol des charters de touristes inconscients du Club Med, vacille
enfin.
La police a été envoyée contre la population ; elle a ouvert le feu, à balles réelles, mais n’a pas pu
arrêter le mouvement.
De Tunisie, la révolution a gagné l’Algérie voisine, puis le Maroc : quand Tunis éternue, pourrait-on dire
désormais, c’est le Maghreb qui s’enrhume.
Après la Tunisie, la révolte sociale a gagné l’Algérie. Depuis plusieurs jours, Alger est en proie à un
soulèvement populaire sans précédent depuis la guerre d’indépendance. Les masses populaires, mais aussi la classe moyenne, ruinées par la crise économique et la hausse spectaculaire
du prix des produits de première nécessité, ont envahi les rues de la capitale.
Aux dernières nouvelles, le président Bouteflika et la minorité aisée qui met depuis des années le pays en
coupe réglée auraient quitté Alger.
Au Maroc, de grandes manifestations se sont mises en branle : la richesse du pouvoir royal, les palais
immenses qui narguent, à travers tout le pays, la misère du peuple entassé dans la précarité des médinas, a suscité une réaction de grande ampleur. Dans ce pays, la révolution
semble mieux organisée, par une opposition bien structurée.
Partout, les opposants à ces gouvernements corrompus s’organisent grâce à internet.
C'est ainsi une révolution populaire qui secoue le Maghreb, un mouvement unique qui tente sa chance, pour la
démocratie et le bien social. Mais, sans notre aide, sans notre cri, elle va s'éteindre dans la répression. Et cette chance sera perdue pour eux et pour nous, pour encore trente ou
cinquante ans.
C'est d'eux, pourtant, dont nous avons besoin, pas de l'anti-culture états-unienne.
Hélas, nos gouvernements s’accommodent très bien de ces régimes, qui leur assurent obédience et stabilité au
Maghreb.
Criez, disais Voltaire, criez! L'opinion publique fait trembler les trônes des tyrans. Contre les assassins
juridiques, il n’y a d’espoir que dans le cri public! Que l’opinion publique braille aux oreilles de nos dirigeants! Que l’opinion publique exige! Alors, crions! Crions! Crions-le à
la Terre entière!
N'abandonnons pas ces femmes et ces hommes, qui espèrent et nous attendent, sur l'autre rive du grand lac
Méditerranée.
Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques (Ecole européenne de Bruxelles I)
Auteur :
Pierre
PICCININ - Source :
Courriel de l'auteur